Certains froncent déjà les sourcils à la lecture de ce titre, peut-être polémique… Récemment, Philippe Nieuwbourg a écrit que sans gouvernance de données, une organisation risquait bien l’anarchie… sous-entendu le désordre, puisque c’est aujourd’hui le sens péjoratif donné au mot. Rappelons quand même le sens premier et politique de ce vocable passionnel : « Conception politique et sociale qui se fonde sur le rejet de toute tutelle gouvernementale, administrative, religieuse et qui privilégie la liberté et l’initiative individuelles. » (Source : Larousse en ligne) À bien y regarder, l’anarchie correspondrait plutôt à un mode d’organisation du collectif et par le collectif, sans hiérarchie : or, n’est-ce pas ce graal-là, justement, que l’on souhaite atteindre et trouver lorsque l’on est en quête d’une data gouvernance efficace ?
Qu’entends-je donc par une gouvernance anarchique de la data ?
Il semblerait en effet que gouverner efficacement ses données au sein d’une micro société qu’est l’entreprise, c’est pouvoir appliquer quelques principes proches de ceux prônés par les anar’ de tous poils, à savoir :
• la décentralisation et la prise d’autonomie des équipes dans la gestion des données
• l’auto-organisation dans la gouvernance (au contraire de la hiérarchie encore communément factuelle)
• la responsabilisation collective
• la transparence et le partage ouvert de l’information
Rien de mieux que l’Histoire pour mettre cette thèse en perspective et en comprendre les enjeux et les limites. Faisons un petit tour de quelques organisations collectives qui ont marqué l’Histoire du monde…
Guildes artisanales médiévales (Moyen Âge, Europe)
Organisation d’artisans en communautés autogérées partageant leurs savoirs :
– Établissement de règles communes de production et autofinancement des outils de formation
– Création pour assurer la sécurité et la qualité des biens produits
– Limitations : création d’inégalités entre propriétaires et ouvriers, exclusion des femmes
Mir russes (19e siècle, Russie)
Communautés rurales avec partage collectif des terres :
– Attribution dynamique des parcelles selon les besoins familiaux
– Gestion commune des impôts
– Culture selon le savoir-faire familial
– Autonomie vis-à-vis du pouvoir central
– Prise de décision par acclamation (« Ladno ! Ladno ! »)
Commune de Paris (1871, Paris)
Conseils autogérés et démocratie directe :
– Responsabilisation des membres de l’assemblée
– Reconnaissance du droit à l’insurrection
– Transformation de l’armée en garde nationale civile
– Mise en place de décrets pour les ateliers abandonnés
Collectivisations espagnoles (1936, Espagne)
Autogestion ouvrière pendant la Révolution sociale espagnole :
– Contrôle ouvrier sur 70% des moyens de production en Catalogne
– Important mouvement d’alphabétisation et de formation
Autogestion yougoslave (1950-1980, Yougoslavie)
Gestion des entreprises par les travailleurs :
– Mise en place de conseils ouvriers
– Approche pragmatique avec réduction bureaucratique
– Autonomie par rapport à la planification centrale
Kibboutz (20e siècle, Israël)
Communautés agricoles autogérées caractérisées par :
– Partage de valeurs communes
– Engagement volontaire
– Établissement d’un contrat social
– Mutualisation des revenus
– Fort accent sur l’éthique du travail
– Diversité d’organisation et de taille
Chiapas (1980-, Mexique)
Zones de gouvernance participative (« caracoles ») :
– Autogestion des services publics
– Refus de la prise de pouvoir centralisé
– Développement de réseaux de solidarité
– Fort accent sur l’organisation collective
Cette courte et (très) condensée rétrospective des différents types de gouvernances non hiérarchisées aura éveillé, probablement, votre curiosité ; vous lirez donc prochainement, avec grand intérêt, le prochain article qui traitera plus directement de l’anarchie et des principes qui la structurent et la définissent comme mode d’organisation collective.